En grand amoureux des livres, j’ai adoré le roman de Victor Hugo, et aussi, bien sûr, le monument.
J’ai eu le cœur fendu par l’incendie de Notre Dame.
J’ai passé à Paris mes années de jeunesse, les meilleures, dit-on, les plus insouciantes, assurément. J’ai passionnément aimé cette ville, et je l’aime encore de tout mon cœur. Notre Dame a été le premier monument parisien que j’ai visité, j’avais dix-neuf ans. Et comme j’ai toujours été attiré par le spiritualisme, j’ai de suite ressenti le passage de ces millions de gens avant moi, dont la ferveur a imprégné les murs. J’ai également toujours été intéressé par l’Histoire, j’ai immédiatement aimé ces murs qui ont vu tant de personnages et d’événements importants.
Notre Dame est comme un être vivant. À ce titre, elle a grandi, elle a évolué, elle vieillit. Elle a eu une flèche, qu’elle a perdue, puis retrouvée, différente. Elle a fait l’objet d’expériences architecturales, elle porte des cicatrices qui rappellent les péripéties de sa longue existence. Comme vous, comme moi.
Le lundi 15 avril 2019, elle a reçu une autre blessure. Est-ce la plus grave ? Peut-être, cependant ce n’est pas certain. Elle a déjà connu le feu, des hommes ont déjà décidé de la détruire, elle a été frappée, bombardée, détestée, accidentée…
Plusieurs jours sont passés depuis le drame, et je me suis apaisé. Notre Dame, si chère à mon cœur, vient de traverser une épreuve importante de son existence. Dans quelques centaines d’années, dans les livres d’Histoire, on parlera de « l’incendie qui a détruit la toiture au début du XXIe siècle ».
Je ne suis plus inquiet, Notre Dame sera restaurée. Pas reconstruite ni rebâtie, comme l’ont dit certains. J’espère que les parties brisées ne seront pas refaites à l’identique, mais, comme cela a été le cas après chaque blessure, avec les moyens de l’époque, afin qu’elle garde cette cicatrice, cette histoire gravée sur elle. Ceux qui souhaitent qu’elle soit semblable à ce qu’elle était jusqu’à cet incendie n’ont rien compris, et ils veulent la figer, la momifier comme si elle n’était pas vivante.
Peu importe, finalement, les techniques mises en œuvre, l’aspect futur de Notre Dame et le délai nécessaire à cette restauration. Ce qui compte, c’est qu’elle continue à vivre longtemps après nous, comme elle a vécu longtemps avant nous.
Ce que je déplore profondément, par contre, c’est l’utilisation indécente qui est faite de cet incident. Notre Dame, comme toutes les cathédrales, a été bâtie par des hommes et pour des hommes. Aujourd’hui, l’Homme est méprisé, abandonné, assassiné. On rejette des réfugiés à la mer, on exploite des peuples entiers, on massacre notre planète, on abuse et on extermine tout, tout, tout… et on se donne bonne conscience en se cotisant pour refaire la toiture et la flèche de Notre Dame. Après avoir laissé détruire tant d’autres merveilles de l’humanité, comme les Bouddhas de Bâmiyân en Afghanistan, comme la magnifique cité de Palmyre, après avoir laissé s’accomplir le pillage du musée national de Bagdad, et mille autres forfaits impardonnables.
Des commentaires larmoyants envahissent nos écrans, parce que cela arrange ceux qui ont besoin de redorer leur blason, une fois de plus au détriment de ceux qui sont dans la nécessité. J’aime passionnément Notre Dame, je dirai même PARCE QUE je l’aime, j’ai envie de vomir face à cette attitude honteuse.