Ce court roman date de trente années, toutefois il est toujours d’actualité, malheureusement. Il est même probable que la situation soit pire, car les techniques ont évolué, et les destructeurs de notre planète savent, hélas, en faire mauvais usage.
Car il s’agit d’écologie dans le sens général du terme, et de protection des animaux en particulier. Des baleines, plus précisément.
Le narrateur est un Chilien exilé en Allemagne, qui a mis en place avec des associés une agence d’information spécialisée dans les problèmes de l’environnement.
Il se souvient de son enfance dans l’extrême Sud du Chili, dans ce monde au bout du monde, au-delà duquel il n’y a plus rien avant l’Antarctique. À cette époque, il était bercé par les romans d’aventures, en tête desquels figurait le célèbre Moby Dick d’Hermann Melville. D’ailleurs, le présent livre débute par les mêmes mots : Appelez-moi Ismaël.
Le héros (qui pourrait être l’auteur lui-même) se lance dans une enquête qui le ramène sur ses terres natales, où il n’a pas remis les pieds depuis de nombreuses années. Il s’agit de dénoncer la chasse à la baleine, en principe interdite, mais que certains pays, notamment le Japon, continuent à pratiquer en violation de tous les traités internationaux, et grâce à des combines illégales. Par exemple, un navire baleinier prend le même nom qu’un autre, qui a été envoyé au démantèlement. Le nouveau n’a donc pas d’existence officielle et peut en toute impunité parcourir ces latitudes peu fréquentées et y effectuer un véritable massacre parmi les populations de cétacés, en utilisant des moyens de destruction massive qui n’ont rien à voir avec la pêche.
Ils aspiraient la mer avec des tuyaux d’environ deux mètres de diamètre. Ils sortaient tout, en provoquant un courant qu’on a senti sous notre quille, et après le passage de la suceuse la mer n’était plus qu’une espèce de soupe noirâtre et morte. (…) La pêche, ça n’est pas leur affaire. Ils cherchent la graisse ou l’huile animale pour l’industrie des pays riches et, pour arriver à leurs fins, ils n’hésitent pas à assassiner les océans.
Le récit se déroule sur deux plans. Il y a l’aspect dénonciateur de la catastrophe que représente la poursuite de cette boucherie, et une dimension plus personnelle, le narrateur revenant vers son passé et son pays, qu’il avait fui jadis. On pourrait ajouter une portée documentaire, car l’auteur connaît parfaitement cette région de la planète, et la décrit d’une manière qui donne envie d’y aller pour la voir de nos propres yeux.
Luis Sepulveda introduit dans son histoire de nombreux symboles, évoquant par exemple les tribus d’Indiens disparues, immolées sur l’autel des profits occidentaux comme le seront peut-être un jour les baleines. Une malheureuse coïncidence a fait que j’ai découvert ce livre quelques semaines après l’annonce faite par le Japon d’une reprise de la chasse à la baleine. Les intérêts économiques aveugles qui pillent notre monde sont en train de le condamner, et nous risquons tous d’être entraînés dans sa perte.