Désormais, tout est noir, il n’y a plus d’espoir. Les amoureux de la langue française, aux quatre coins de l’hexagone, sont tristes : Jean d’Ormesson est mort, dans la poussière et les bras en croix.
J’ai un problème, c’est que je ne l’appréciais pas spécialement. Je ne reconnais pas du tout en Jean d’Ormesson le grand écrivain qu’on nous décrit à grand renfort de larmes depuis l’annonce de son décès. Certains, pour cela, voudront refermer sur moi les portes du pénitencier en espérant que je n’en sorte plus, et que plus jamais on ne revoit ma gueule. Qu’est-ce qu’elle a, ma gueule ?
La première fois que j’ai lu un bouquin de lui, j’en suis resté sur le cul. Comment pouvait-on parler autant et aussi bien de si peu de choses ? J’en ai lu un second… et j’ai eu l’impression de recommencer le même. J’en ai essayé un troisième, avec toujours la même impression. Sans doute venait-il de passer dix ans de chaîne sans voir le jour, à ressasser sans cesse des propos identiques. Peu de choses, disais-je. Il n’avait apparemment pas davantage à raconter. Je n’en croyais pas mes yeux, ma vue pourtant convenablement corrigée par un célèbre opticien que je ne citerai pas ici.
Certes, M. d’Ormesson savait manier la plume. Oui, c’était un grand protecteur de la langue française, qu’il a défendue notamment lorsque des inepties telles que la réforme de l’orthographe ou l’écriture inclusive eurent allumé le feu de son ire. Son style était sans doute impeccable, lisse et sans la moindre aspérité, mais aussi sans éclat ni imagination. C’est vrai, il avait un certain humour. Mais à rabâcher encore et encore les mêmes histoires, même excellentes, on finit par lasser. Je n’ai rien pu faire pour retenir la nuit et l’ennui qui s’emparaient de moi à la lecture de sa prose.
J’apprécie pourtant en lui l’intérêt qu’il portait à notre langue. Pour moi aussi, toute la musique que j’aime vient de là, de la poésie et des mots.
J’ai la sensation que depuis pas mal d’années, Jean d’Ormesson publie chaque année son « dernier livre », dans lequel il répète inlassablement la même pseudo-autobiographie qu’on pourrait résumer par « Quand j’étais jeune, je me demandais ce que je ferai plus tard. Je n’ai toujours pas trouvé la réponse, mais la vie est belle. » Elle devait en effet être plutôt cool, pour lui qui était né avec une cuillère en argent dans la bouche et qui n’a jamais eu besoin de trop s’user les ongles pour la gagner.
Il a fini de chuter dans mon estime au Salon du livre de Paris 2016. J’ai fait la queue pour lui faire dédicacer un ouvrage pour ma mère, en lui précisant que c’était pour son anniversaire, afin qu’il se casse d’un petit mot dans ce sens. (Ma mère était une de ses ferventes admiratrices.) Il ne m’a pas regardé. Il a pris le bouquin, a griffonné un truc en forme de rature, et a tendu la main vers le suivant de la file pour lui infliger le même traitement.
En vous, M. d’Ormesson, comme en chacun de nous, amoureux des livres, il y a quelque chose de l’Académie, de ces gens qu’on surnomme des immortels. Assurément, vous auriez pu être un immortel pendant au moins une semaine, le temps que les médias se repaissent et se lassent de votre trépas. Hélas, le hasard a voulu qu’une autre vedette bien française rende l’âme quelques heures après vous. Et j’ai bien peur, M. d’Ormesson (pardonnez-moi d’être un peu rock’n roll), que question immortalité et immoralité, vous ne fassiez pas le poids. Toutefois, rassurez-vous et partez l’âme sereine, les Françaises et les Français survivront à votre sortie de scène définitive. Après tout, ils ont bien réussi à survivre (bien qu’avec difficultés il est vrai), à la mort de Cloclo…
Ah que coucou !