Une gourmandise
Si le pain se « suffit à lui-même », c’est parce qu’il est multiple, (…) le pain est plusieurs, le pain est microcosme. En lui, s’incorpore une assourdissante diversité, comme un univers en miniature, qui dévoile ses ramifications tout au long de la dégustation. L’attaque, qui se heurte d’emblée aux murailles de la croûte, s’ébahit, sitôt ce barrage surmonté, du consentement que lui donne la mie fraîche. Il y a un tel fossé entre l’écorce craquelée (…) et la tendresse de la substance interne qui se love dans les joues avec une docilité câline, que c’en est presque déconcertant. Les fissures de l’enveloppe sont autant d’infiltrations champêtres : on dirait un labour, on se prend à songer au paysan, dans l’air du soir ; au clocher du village, sept heures viennent de sonner ; il essuie son front au revers de sa veste ; fin du labeur.
Franchement, vous avez déjà pensé à tout ça en mâchant un bout de pain ? Et il y en a plusieurs pages ! Et il y en a autant à propos des tomates, de la viande, du poisson, du sorbet… Tout est de la même veine, à se demander si vous savez ce que c’est que manger, si vous savez ce qu’est une simple mayonnaise. À l’évidence, Muriel Barbery aime la bonne chère, et elle s’en est donné à cœur joie dans ce livre.
Ce n’est que parvenu à l’ultime phrase de ce petit roman pas comme les autres que j’ai compris que tout cela n’est qu’une plaisanterie. Ouf !
Le personnage principal se présente lui-même comme le plus grand critique gastronomique du monde. Et modeste, avec ça ! Durant sa vie, il a fait et défait, de quelques mots seulement, la réputation et la fortune de grands cuisiniers. Mais c’est la fin : son cœur est en train de le lâcher, il n’en a plus que pour quelques heures. Alors, il cherche à se souvenir d’une saveur particulière, qui est tapie dans sa mémoire. Il sait qu’elle est là, mais elle lui échappe, comme un mot qu’on a sur le bout de la langue. Il veut la retrouver avant de mourir… Ceci est prétexte à tout un inventaire de mets qu’il a dégustés dans son existence. Tout y passe, de la brioche de sa grand-mère à la haute gastronomie. Le goût, bien sûr, mais aussi la vue, l’odeur, le toucher, même l’ouïe, par le bruit de la mastication.
Personnellement, je ne suis ni Gourmet, ni Gourmand, ni Gastronome, sans être non plus Goinfre. (Eh oui, j’ai la 4G !) Je suis de ceux qui s’alimentent plus qu’ils ne mangent. Alors, j’ai eu un peu de mal avec cette longue litanie de victuailles plus ou moins compliquées et prétendument succulentes, voire divines. Il y a aussi les points de vue de l’entourage du gastronome. Tandis que lui ne pense qu’à satisfaire son palais, eux ne parlent jamais de la Table, mais de lui. Ils défilent tous : sa femme, sa domestique, ses enfants, ses rivaux… même son chat !
Heureusement, il y a la touche finale. Car il la retrouve, sa saveur magique, sa gourmandise. Elle remet les pendules à l’heure, elle donne son vrai sens au bouquin, et elle fait enfin sourire le lecteur ! Il était temps, ça devenait indigeste… Mais non, je plaisante !
Honnêtement, j’ai préféré l’Élégance du Hérisson (livre et film) j’ai quand même lu celui-ci parce que j’aime bien tout lire d’un auteur… Merci Claude pour cette critique sympa !
Ta critique me donne envie de lire ce nouveau Muriel Barbey, merci Claude!
Ce n’est pas un nouveau roman, c’était son premier, publié en 2000. J’ai du retard, c’est tout.
Je n’ai pas beaucoup le temps de lire, surtout les romans.
Mais j’ai adoré “Une gourmandise” , tant pour le style que l’originalité du sujet. Je crois d’ailleurs que Muriel Barbery a gagné un prix avec ce livre, ce qui me semble justement mérité.
Ce livre m’a donné envie de lire aussi “L’élégance du hérisson” et j’ai adoré tout autant.
Ce qui m’a aussi beaucoup plu, c’est le rapport (très discret) entre les deux livres.
Sinon, comme tu l’écris si bien, Claude, il y a un côté hallucinant dans les descriptions gastronomiques, comme si un monde inconnu nous était d’un coup révélé, avec une richesse insoupçonnée… jusqu’à la fin, moins lyrique, d’un personnage que j’ai trouvé assez peu sympathique ! Mais, cette différence entre les saveurs délicieuses des mets et le caractère exécrable du gouteur n’est-elle pas le principal intérêt de cette histoire ?
A mon avis, un roman qui vaut largement le détour.
Bonjour Agnès, ça me fait plaisir de te “revoir”.
En effet, le personnage n’est pas très sympatique. En dehors du plaisir qu’il a à manger, il ne s’intéresse pas à grand-chose, délaissant entre autres ses proches. Les chapitres où sa fille et sa femme prennent la parole sont particulièrement forts.
Quant au lyrisme avec lequel il parle des aliments et des goûts, il est évidemment très exagéré. Je dirai même “trop”, par moment. Le livre doit être pris comme une caricature de la gastronomie. Comme lorsqu’un œnologue devine l’année d’un vin, et qu’on joue à le mimer avec un verre d’eau, pour se moquer. D’ailleurs, la fin de Une gourmandise démontre sans laisser le moindre doute que le livre est une plaisanterie. C’est du moins ainsi que je l’ai compris.